Le Pr IFRAH ou la médecine d’un temps que l’on croyait révolu.

Par Dr Marc Gourmelon

9 novembre 2018

 

Dans un article du journal Le Parisien du 6 novembre 2018 [1]intitulé : « Cancer du sein : «Les détracteurs du dépistage sont irresponsables» ; le Pr IFRAH exprime son indignation envers ceux qui ne pense pas comme lui.

 

« Irresponsable » ! Pourquoi une telle violence dans le propos ?

 

Je propose 2 pistes pour répondre à cette question.

 

1) La médecine du 21ème siècle n’est plus la médecine du siècle dernier.

 

Aujourd’hui et depuis toujours, la médecine s’apprend auprès de « maîtres » qui vous l’enseignent.

Ces « maîtres » sont aujourd’hui encore, les médecins, professeurs agrégés des universités et chef de service de grands hôpitaux universitaires.

Ces « maîtres » partagent leurs savoirs et leurs connaissances et vous disent ce que la médecine est, et ce qu’elle n’est pas pas. Ils vous expliquent l’intérêt de tel traitement ou de telle intervention médicale comme les dépistages.

 

Jusqu’à la fin du 20ème siècle et l’avènement d’internet, les professeurs de médecine étaient ceux qui détenaient de façon exclusive le savoir médical.

Ils tiraient ce savoir de la lecture des publications dont nombres d’entre eux étaient les auteurs. Ces publications, étaient disponibles dans des revues consultables uniquement par le monde médical, au sein des bibliothèques universitaires de médecine.

Ce savoir était donc « enfermé » et réservé à une élite.

Cette élite médicale faisait profiter le reste de la profession de ce savoir, dans des enseignements ou conférences post-universitaires.

Il y avait donc un filtre majeur sur l’ensemble des données des connaissances médicales actualisées : celui des professeurs.

Mais il était alors impossible d’échapper à ce filtre.

Il ne serait d’ailleurs venu à l’idée de personne, d’aucun médecin hors système des professeurs, de remettre en doute la parole professorale et encore moins de la contester.

Le professeur agrégé de médecine était donc une sorte de monarque de la profession médicale, ce que l’on nomme encore les « mandarins ».

 

Mais depuis l’avènement d’internet et son développement jusqu’à aujourd’hui, le savoir et les connaissances médicales se sont démocratisés au point même qu’aujourd’hui, tout un chacun, même non médecin, a accès aux informations médicales les plus poussées.

Il en ressort que la parole du professeur agrégé de médecine n’est plus sacralisée.

Elle est même analysée et critiquée à la lumière des savoirs aujourd’hui disponibles sur un simple clic.

Nombre de « pontes » de la médecine, de professeurs agrégés, se supportent pas cette remise en question et par là même la contestation de leur autorité.

Nombre de ces médecins s’emportent contre ce qu’ils considèrent souvent comme des « crimes de lèse-majesté ».

Ces professeurs s’emportent ainsi contre les réseaux sociaux, expression des nouvelles libertés dont internet a permis l’avènement.

Ils montrent alors qu’ils fonctionnent toujours comme dans l’ancien temps et n’arrivent pas à s’adapter aux nouvelles réalités du 21ème siècle.

 

Il semble bien que le Pr Norbert IFRAH fasse partie de ces médecins d’un ancien temps.

 

 

2) Les autorités sanitaires travaillent-elles au bénéfice des patients ou au bénéfice d’autres entités ?

 

C’est une question qui se pose de plus en plus quand on voit se développer certaines « polémiques » dans le domaine de la santé : Médiator, Dépakine, Lévothyrox, vaccinations obligatoires, dépistages etc

 

Le Pr Norbert IFRAH, président de l’Institut National du Cancer depuis 2016, s’insurge donc contre ceux qui remettent en doute le bénéfice du dépistage organisé du cancer du sein par mammographie.

« Mais on assiste en France à une campagne de dénigrement surréaliste, notamment sur les réseaux sociaux. Ses détracteurs, peu nombreux mais très actifs, sont irresponsables. »

 

Dénigrement, irresponsabilité, que d’agressivité dans le propos !

 

Je ne reviendrai pas sur les mensonges et approximations que ma consœur Cécile BOUR a soulevé dans son article en réponse au Pr IFRAH [2]

Je voudrais, pour essayer de comprendre un telle violence,  plutôt m’interroger sur les liens d’intérêt du Pr IFRAH.

 

Une rapide consultation de la base de données publique Transparence – Santé [3]montre pour le Pr IFRAH, de 2013 jusqu’en 2016 date de sa nomination comme président de l’INCA , 93 avantages, 23 conventions et 5 rémunérations, ce qui correspond à une proximité importante avec les industriels du médicament et des dispositifs médicaux, et par là même à plusieurs milliers d’euros versés.

Ce sont donc des liens d’intérêts forts, tissés au cours de nombreuses années.

 

Par ailleurs, en tant que président de l’INCA, le Pr IFRAH a des objectifs précis fixés par le ministère de la santé, sa tutelle.

Le premier point de son contrat d’objectif et de performance [4]est le suivant :

« consolider une approche intégrée de la lutte contre le cancer : conforter l’articulation des actions de recherche, de prévention, de dépistage et d’organisation des soins, et contribuer à la lutte contre les inégalités face à la maladie »

Il a donc pour mission de conforter les actions de dépistage comme la mammographie.

 

Les médias sociaux et bien d'autres s’interrogent sur le bien-fondé du dépistage du cancer du sein par mammographie.

L’association Cancer-Rose souhaite que toutes les femmes soient informées pour décider de participer ou non au dépistage, et cela conformément aux conclusions de la concertation citoyenne sur le sujet.

Poser ces questions, s’interroger sur le bénéfice de ce dépistage, vouloir une information la plus honnête possible sur le sujet,  n’est pas la priorité du Pr IFRAH.

Il considère même que le faire est « irresponsable ».

Cela est d’autant moins une priorité pour le Pr IFRAH que cela va empêcher  l’INCA et donc son président, de mener à bien la mission qui lui a été confié par sa « hiérarchie » de développer le dépistage. Que celui-ci n’ait aucun bénéfice et même soit délétère pour les femmes, n’est pas son problème.

 

On imagine donc facilement sa colère.

 

On l’imagine d’autant plus facilement que dès la parution du rapport final [5]de la concertation citoyenne sur le dépistage du cancer du sein, le Pr IFRAH avait écrit à la ministre de la santé, une lettre hallucinante dont nombre d’associations et médecins indépendants s’étaient indignés. [6]

Dans cette lettre dont l’intégralité est consultable [7]; le Pr IFRAH ne faisait, ni plus ni moins que nier les conclusions de la concertation citoyenne pour proposer sa propre lecture qui consistait à maintenir le dépistage du cancer du sein par mammographie.

 

Il est donc tout naturel, qu’aujourd’hui le Pr IFRAH soit en colère.

En colère car il est contesté, lui professeur agrégé président de l’INCA.

En colère car il ne peut remplir la mission que lui a confié sa tutelle, et que donc il peut craindre pour l’évolution de sa « carrière académique ».

 

 

 

[1] http://www.leparisien.fr/societe/sante/cancer-du-sein-les-detracteurs-du-depistage-sont-irresponsables-06-11-2018-7936614.php

 

 

[2] https://www.cancer-rose.fr/un-responsable-nest-peut-etre-quun-irresponsable-qui-a-perdu-son-ir/

 

 

[3] https://www.transparence.sante.gouv.fr/flow/main?execution=e1s1

 

[4] https://www.e-cancer.fr/Institut-national-du-cancer/Qui-sommes-nous/Missions

 

[5] http://formindep.fr/wp-content/uploads/2016/10/depistage-cancer-sein-rapport-concertation-sept-2016.pdf

 

[6] http://formindep.fr/cancer-du-sein-la-concertation-confisquee/

 

[7] https://www.atoute.org/n/IMG/pdf/Courrier-Ministre-concertation-depistage-cancer-sein---.pdf

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