Comment fait-on une lecture de mammographie ?

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par Dr Cécile Bour

 

Comprenons au préalable la façon dont on procède lors du dépistage du cancer du sein par mammographie. On vous parle d’une première lecture, suivie d’une deuxième lecture. Mais qu’est-ce en pratique ?

 

Vous avez reçu votre convocation et consultez au cabinet de radiologie pour l’examen des seins par mammographie et éventuellement échographie, ce qui correspond à ce qu’on appelle la première lecture effectuée par le radiologue du cabinet. Il y aura deux possibilités :

  1. Votre bilan radiologique est douteux et nécessite des clichés complémentaires qui seront réalisés d’emblée lors de cette consultation. Il sera alors :
  • Soit défavorable et vous serez intégrée dans un parcours de bilan diagnostique (avec IRM et/ou biopsie..) afin de pouvoir entériner la nature de la lésion.
  • Soit jugé dans les normes, ce qui vous permettra au terme de la consultation de rentrer chez vous. Votre dossier sera ensuite transmis à la structure départementale de gestion où il sera « relu » par un deuxième radiologue qui ne vous a pas vue et ne vous connaît pas . Cela s’effectue lors d’une séance d’une à deux heures et parmi une soixantaine d’autres dossiers tout aussi inconnus de lui, à l’aveugle en quelque sorte..

2-Votre bilan sera d’emblée jugé normal lors de cette première lecture et envoyé à la structure de gestion, où le deuxième       radiologue, le deuxième lecteur donc, les examinera lors d’une séance d’une à deux heures, comme décrit ci-dessus.

 

Ensuite lors de cette deuxième lecture, ce deuxième radiologue a deux possibilités :

 

  • Il jugera le dossier normal, qui vous sera alors renvoyé à votre domicile.
  • Ou bien il le jugera suspect et sera donc en désaccord par rapport au premier lecteur, et vous serez avisée de cette lecture défavorable afin de pouvoir revenir au cabinet du premier radiologue pour bénéficier du bilan diagnostique que le deuxième aura prescrit (autres investigations comme clichés complémentaires, échographie ciblée, biopsie ou IRM).

 

Voilà schématiquement comment se passe la procédure. Cela paraît très simple, bien codifié, quasi-bureaucratique et imparable.

 

Oui, mais c’est sans considérer deux écueils majeurs : la difficulté de « lire » la mammographie objectivement, et les états d’âme du « lecteur ».

Une mammographie ne se lit pas, c’est une image qui s’interprète. La texture du sein mammographié, désincarné, a l’apparence d’une sorte d’ouate que vous auriez distendue : elle sera composée de vides, de pleins, s’organisant de façon aléatoire selon la façon dont vous auriez étiré votre ouate. Cette structure filaire est plus ou moins dense, compacte ou au contraire aérée, elle change d’une femme à l’autre, d’un cycle menstruel à l’autre chez la même femme, d’une année à l’autre, elle réagit aux traitements hormonaux, aux modifications physiologiques hormonales, aux changements du poids. C’est comme une trame mouvante qui dissimulera ou au contraire simulera une lésion selon la compression, l’incidence réussie ou insuffisamment comprimée. Il s’agira de détecter dans cette texture capricieuse l’image qui reflète une lésion réelle et la plus petite possible. Mais plus une lésion est petite moins elle est caractéristique. Et moins elle est caractéristique plus on l’examine. Et puis plus on l’examine plus on s’interroge….Et plus on s’interroge plus on doute, plus on rechigne à classer un examen comme normal, plus on a tendance à se « couvrir » en classant en dossier suspect, pour ne pas avoir à se reprocher le fait d’avoir oublié une éventuelle lésion.

Outre la difficulté inhérente à cet examen compliqué, nécessitant expérience et formation, existe concomitamment le facteur humain.

 

L’humain aussi est capricieux, changeant, évoluant. Il existe grossièrement trois sortes de radiologues-lecteurs : le détendu-serein, le pragmatique-concentré, l’angoissé-stressé.

Evidemment au fil du temps, selon le propre vécu et les expériences qu’aura traversé le radiologue (cancers non vus, cancers supputés mais non confirmés, malades inquiétées inutilement) , il peut passer du stade détendu-serein à l’angoissé-stressé. Ou bien au contraire, prenant de l’âge et une débonnaire-attitude, l’humain radiographiste peut passer du stade pragmatique-concentré au détendu-serein.

Le détendu-serein aura tendance à ne pas « positiver » trop de dossiers, l’angoissé-stressé au contraire verra partout « le loup dans le bois ». La performance est donc inégale selon tempérament et état d’esprit du lecteur. Le mot « lecture » vous apparaît de toute évidence comme un mot inadapté, et il est vrai que cette « lecture » est en fait une interprétation.

Au terme de presque 20 années de deuxième lectrice du dépistage organisé me sont venus angoisses, doutes et interrogations.. Souvent toutefois je remarquais que certains lecteurs avec d’excellents taux de dépistage avaient en parallèle un taux impressionnant de bilans « positivés ». Le dossier positivé l’était d’ailleurs plus souvent pour des raisons de doute sur une image que pour une réelle conviction de lésion.

Pour parodier, je dirais que la situation est comparable à un pays imaginaire où l’on voudrait atteindre la criminalité zéro, le radiologue-lecteur étant la force de l’ordre et le cancer le criminel. Soit vous êtes un détendu-serein, vous faites confiance à la bonté de l’humanité, et vous n’interpellerez personne. Vos résultats en matière de réussite contre la criminalité ne seront pas très bons. Mais vous aurez donné la chance à un individu douteux de ne pas évoluer péjorativement et de prouver sa bienveillance. Ou manque de chance il sera passé à l’acte et vous aurez fait une erreur de jugement.

Soit vous faites partie des pragmatiques-concentrés, vous avez des critères dont vous ne dérogez jamais, vous suivez les signes, vous appliquez ce qu’on vous a appris dans les livres, et vous loupez l’atypique, le méchant qui n’aurait pas dû l’être selon des critères objectifs décrits dans les livres.

Ou bien vous êtes un incorrigible angoissé-stressé, et vous appliquez le délit de faciès. Vous allez guillotiner tous les vrais criminels que vous voyez, mais en plus les personnes qui présentent à vos yeux un délit de faciès! (Je répète, ceci est une métaphore ). Votre taux de criminalité pourra même tendre vers zéro et vous aurez débusqué tous les criminels. Mais vous aurez passé à l’échafaud d’authentiques innocents, qui auraient pu très bien vivre sans mettre en danger la vie d’autrui.

 

Il en est à peu près ainsi du cancer et du dépisteur, une image peut être affectée du délit de faciès sans être agressive, une lésion d’allure innocente au contraire peut être un redoutable adversaire par la suite, le radiologue peut être un détendu-serein confronté à un faux gentil, ou bien un angoissé-stressé face à un faux méchant. Voilà les aléas de la machinerie du dépistage qui m’ont conduite peu à peu à ne plus savoir diagnostiquer sereinement sans me poser toutes ces questions, en ayant le spectre d’une patiente inutilement inquiétée seulement parce que moi, radiologue, j’aurais eu un doute injustifié.

 

Nous avons par ailleurs des quotas à respecter, nous devons lire au moins 500 mammographies par an, ne pas dépasser 30% d’échographies complémentaires ; le taux souhaitable d’examens positifs en première lecture doit être inférieur à 10% et même inférieur à 7% lorsqu’on dispose d’un examen antérieur pour comparer. Le taux de mammographies positives doit être inférieur à 2% en deuxième lecture, le pourcentage de femmes re-convoquées par le deuxième lecteur pour cause de clichés à refaire car jugés « ratés » ne doit pas dépasser 1% des examens « lus »…

Mais pour la femme cela signifie à chaque situation du 100%. Cent pour cent d’inquiétude inutile, cent pour cent si elle est re-classée en dossier positif, cent pour cent si c’est un faux négatif, cent pour cent d’invasion de son sein si elle doit avoir une biopsie…

 

La deuxième lecture qui vous est présentée comme sécurité supplémentaire n’est pas un gage de fiabilité. La lecture, comme on vient de le voir, n’en est pas une, mais une interprétation ; on ajoute donc une deuxième interprétation subjective à une première. Lors d’un doute l’attitude du médecin est d’adopter l’option la plus défavorable et de « positiver » une lésion plutôt que de prendre le risque de l’infirmer à tort. Pour ces deux raisons il est difficile de prétendre que la double lecture ne contribuerait pas au problème du sur-diagnostic et du sur-traitement. Dans tous les cas elle participe certainement à la sur-investigation…

 

Lorsqu’on n’est plus convaincu de la justesse d’un engagement, on doit s’arrêter, et c’est ce que j’ai fait concernant la deuxième lecture. Parce que la mammographie pour un dépistage à grande échelle n’est pas un bon examen. Il n’en existe pas de meilleur pour l’instant en terme de facilité d’accès, mais l’organe n’est pas suffisamment statique et trop individuel pour y appliquer un dépistage à grande échelle.

 

 

 

 

 

 

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