Ce que les statistiques du dépistage du cancer nous disent vraiment

Ce texte pédagogique sur le site de l'institut du cancer américain explique que le discours sur le dépistage du cancer se modifie parmi la communauté médicale.

https://www.cancer.gov/about-cancer/screening/research/what-screening-statistics-mean

MOINS DE RECOMMANDATIONS A DEPISTER

Globalement, les récentes tendances vont dans le sens d'une moindre recommandation de dépistage de routine, plutôt que d'en faire davantage. Ces recommandations sont basées sur l'évolution, même contre-intuitive, de la compréhension du fait que plus de dépistage ne se traduit pas nécessairement par moins de morts par cancers, et que certains dépistages feraient en réalité plus de mal que de bien.

Pour certains types de cancers courants, comme le cancer du col de l'utérus, le cancer colorectal, le poumon et le cancer du sein, des essais cliniques avaient montré que le dépistage sauvait des vies. Néanmoins, l'ampleur du bénéfice était largement incompris. Dans le cas des mammographies de femmes entre 50 et 59 ans par exemple, il est nécessaire de dépister plus de 1300 femmes pour sauver une vie. De tels calculs ne prennent pas en compte le potentiel dommage du dépistage, comme les suivis inutiles et invasifs après tests de dépistage et l'anxiété causée par les faux positifs.

Beaucoup de confusion autour du bénéfice du dépistage provient de l'interprétation des statistiques qui sont souvent utilisées pour décrire les résultats d'études sur le dépistage. L'augmentation de la survie (le temps pendant lequel une personne survit après son diagnostic de cancer) parmi la population qui s'est soumise à un dépistage du cancer est souvent considérée comme impliquant que ce test sauve la vie.

Mais la survie ne peut être utilisée avec précision dans ce but, en raison de multiples sources de biais.

LE BIAIS D'AVANCE AU DIAGNOSTIC

Le biais d'avance au diagnostic survient lorsque le dépistage permet de trouver un cancer plus tôt que le moment où le cancer aurait été trouvé en raison de l'apparition de symptômes, mais que ce diagnostic plus précoce ne change rien à l'évolution de la maladie.

Graphique 1

Dans le scénario montré ici, un homme présentant une toux persistante et une perte de poids se voit diagnostiqué un cancer du poumon à l'âge de 67 ans, il décède à l'âge de 70 ans. La survie à 5 ans pour un groupe de patients analogue à cet homme est de 0%.

Si cet homme est dépisté et son cancer détecté plus tôt, disons à 60 ans, mais qu'il décède à 70 ans (ligne du bas), sa vie n'est pas prolongée, mais la mesure de la survie à 5 ans d'un groupe de patients correspondant au cas de cet home est de 100%.

Credit: O. Wegwarth et al., Ann Intern Med, March 6, 2012:156

L'apparente importante augmentation de la survie à 5 ans du graphique est une illusion, expliquée par Lisa Schwartz, MD, MS, professeur de médecine et codirectrice du Centre de médecine et des médias de l'Institut Dartmouth : "dans cet exemple, cet homme ne vit pas même une seconde supplémentaire. Cette distorsion représente un biais de délai (d'avance au diagnostic)."

Le biais d'avance au diagnostic est intrinsèque à toute comparaison de survie. Il fait du temps de survie après détection par dépistage- et, par extension, après diagnostic précoce du cancer - une mesure intrinsèquement inexacte du fait que le dépistage sauve des vies.

Malheureusement, la perception d'un allongement de vie après détection peut-être très puissante sur les médecins, note Donald Berry, Ph.D., professeur de biostatistique au MD Anderson Cancer Center de l'Université du Texas.

"Un brillant ocnologiste me disait, 'Don, tu dois comprendre, il y a 20 ans, avant la mammographie, je voyais une patiente avec cancer du sein et 5 ans après elle était morte. Maintenant je vois des patientes avec cancer du sein, et 15 ans plus tard elle reviennent sans récidive ; il est évident que le dépistage a provoqué ce miracle.' Voilà ce qu'il racontait. Et je me devais de dire 'non, ce biais d'avance au diagnostic peut tout à fait expliquer la différence entre ces deux groupes de patients'."

BIAIS DE LONGUEUR DE TEMPS (ou BIAIS DE SELECTION (de cancers) PAR LENTEUR D'EVOLUTION) / SURDIAGNOSTIC DANS LE DEPISTAGE.

Un autre phénomène trompeur dans les études de dépistage est l'échantillonnage biaisé par le biais de longueur de temps (length bias). Ce biais se réfère au fait que le dépistage est propre à sélectionner davantage les cancers à croissance lente et les moins agressifs, qui peuvent séjourner dans le corps plus longtemps que les cancers à croissance rapide avant apparition des symptômes.

Avec n'importe quel test de dépistage « vous allez détecter les cancers à croissance lente de façon disproportionnée, parce que la période préclinique où ils peuvent être détectés par le dépistage mais sans provoquer de symptômes - ce qu'on appelle le temps de séjour - est plus longue» , explique Dr Berry.

L'exemple extrême du length bias est le surdiagnostic, dans lequel un cancer à croissance lente trouvé par dépistage n'aurait jamais occasionné de dommage ou n'aurait jamais requis de traitement durant toute la vie de la patiente.

A cause du surdiagnostic, le nombre de cancers de stade précoce trouvés représente également une mesure inadéquate pour juger si le dépistage sauve des vies. (voir le graphique pour explication suivante.)

Graphique 2

Dans le scénario ci-dessus(encart du bas), 2 000 personnes sont surdiagnostiquées après l'introduction d'un test de dépistage. Cela veut dire que le test détecte les cancers qui ne sont jamais destinés à tuer. L'ajout des 2 000 patients surdiagnostiqués au groupe de 1 000 patients atteints d'un cancer agressif découvert à cause de symptômes gonfle artificiellement le taux de survie à 5 ans de 40% à 80%.(NDLR : on additionne les survivants du dépistage (qui ne seraient pas décédés de leur cancer) aux malades survivants de cancers graves, cela fait que le rapport augmente ainsi artificiellement). L'augmentation spectaculaire apparente de la survie à cinq ans est une illusion. Il y a exactement le même nombre de personnes décédées. Cette distorsion montre le biais du surdiagnostic.

Crédit: O. Wegwarth et autres, Ann Intern Med, 6 mars 2012: 156

NDLR : le surdiagnostic en matière de cancer du sein est évalué, selon les études internationales les plus récentes, au-delà des 20% allégués par les autorités sanitaires françaises, voir dans notre rubrique "études" ; actuellement le surdiagnostic en matière de dépistage du cancer du sein serait plutôt aux alentours de 40%.

COMMENT MESURER LES VIES SAUVEES

En raison de tous ces biais, la seule façon fiable de savoir si un test de dépistage du cancer réduit la mortalité par cancer est de faire des essais randomisés qui montrera une réduction de mortalité par cancer dans la population soumise au dépistage comparée à celle appartenant au groupe témoin (non dépistée).

Dans l'essai ' National Lung Screening Trial (NLST) ', le dépistage par tomodensitométrie spiralée à faible dose a permis de réduire de 15% à 20% les décès par cancer du poumon par rapport aux radiographies pulmonaires chez les gros fumeurs. (Des études antérieures ont montré que le dépistage par radiographie thoracique ne réduisait pas la mortalité par cancer du poumon.)

Néanmoins, les améliorations de mortalité attribuable au dépistage semblent souvent minces-et elles sont minces-parce que la probabilité pour une personne de décéder d'un cancer donné, heureusement, est aussi mince. "Si le risque de décéder d'un cancer est faible au départ, il n'y a pas beaucoup de risque à réduire. Ainsi l'effet même d'un bon test de dépistage doit être minime en termes absolus. "(Dr Schwartz).

Par exemple, dans le cas du NLST, une diminution de 20% du risque relatif de décéder du cancer du poumon se traduit par approximativement 0,4% de réduction de mortalité par cancer du poumon au bout de 7 années de suivi, explique Barry Kramer, MD, MPH, directeur de la Division de la prévention du cancer du NCI .

(NDLR : par exemple La réduction du risque relatif attribuable au dépistage de décéder par cancer du sein est de 20% ; le risque de décéder d'un cancer du sein est environ de 5 % à l’âge de 50 ans; une diminution de 20 % fait donc passer ce risque à 4 %.)

Une étude publiée en 2012 dans Annals of Internal Medicine par le Dr Schwartz et ses collègues a montré comment ces réductions relativement faibles de la mortalité dues au dépistage peuvent dérouter même les médecins expérimentés, par rapport au paramètre de l'amélioration importante de la survie, potentiellement trompeur.

Pour bien comprendre la différence entre risque relatif et absolu, lire ici : https://web.archive.org/web/20170623084247/http://hippocrate-et-pindare.fr/2017/01/01/resolution-2017-non-au-risque-relatif-oui-au-risque-absolu/

DIFFICILE, MÊME POUR DES MEDECINS EXPERIMENTES

Pour évaluer le niveau de compréhension des statistiques de dépistage par les médecins, le Dr Schwartz, le directeur du centre de Médecine et Media de l'Institut de Darmouth (Dr Steven) et des collaborateurs de l'Institut Max Planck pour le Développement Humain (Allemagne) ont conçu un questionnaire en ligne basés sur deux tests de dépistage hypothétiques. Ensuite ils ont soumis le questionnaire à 412 médecins, spécialistes de médecine interne ou médecins généralistes, recrutés par l'intermédiaire du Harris Interactive Physician PanelExit Disclaimer. (institut de sondages et analyses).

Les effets de ces deux tests de dépistage hypothétiques sont décrits aux participants de deux façons : en termes de survie à 5 ans, et en terme de réduction de mortalité. Les participants recevaient aussi en sus d'autres informations comme le nombre de cancers détectés et la proportion de cas de cancers détectés à un stade précoce.

Les résultats de l'enquête montre un malentendu généralisé.. Presque autant de médecins (76% des sondés) croient (faussement) que l'augmentation de survie à 5 ans démontre l'efficacité du test à sauver des vies que de médecins qui croient (à juste titre) que ce sont les données de mortalité qui en fournissent la preuve (81% des sondés). (on suppose qu'on pouvait cocher les deux...)

Environ la moitié des médecins induits en erreur pensaient que simplement le fait de trouver plus de cas de cancers dans un groupe de population soumis au dépistage comparé à un groupe non dépisté, cela démontrait que le dépistage sauvait des vies. Et 68% des médecins sondés ont répondu qu'ils seraient plus enclins à recommander le dépistage si la preuve était faite qu'il détectait davantage de cancers à un stade précoce.

Les médecins interrogés étaient également trois fois plus susceptibles de recommander le test étayé par des données de survie non pertinentes que le test étayé par des données de mortalité pertinentes.

Pour résumer «la majorité des médecins de soins primaires ne savaient pas quelles statistiques de dépistage fournissaient des preuves fiables sur le fonctionnement du dépistage», écrit le Dr Schwartz et ses collègues. "Ils étaient plus enclins de recommander un test de dépistage étayé par des preuves non pertinentes ... que celui étayé par les preuves pertinentes, à savoir la 'réduction de la mortalité par cancer grâce au dépistage'."

Cette lacune dans la compréhension empêchent les patients d'obtenir une information dont ils ont besoin pour leur choix éclairé sur le dépistage du cancer. Dans une étude de suivi réalisée par un chercheur https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24145597, un peu moins de 10% de patients interrogés disaient que leur médecin leur avait expliqué le problème du surdiagnostic et du surtraitement lorsqu'ils ont parlé du dépistage de cancers.

Par opposition, 80% disaient qu'ils souhaiteraient obtenir une information de la part de leur médecin sur le potentiel dommage du dépistage autant que sur son bénéfice.

ENSEIGNER AUX DEPISTEURS

Selon Dr Schwartz : "D'une certaine manière ces résultats ne sont pas surprenants, car je ne pense pas que ces statistiques font partie du cursus des études médicales standard." "Nous devrions enseigner aux étudiants en médecine comment interpréter correctement ces statistiques et de déjouer l'exagération."

Certaines facultés ont commencé (plusieurs universités de médecine US).

L'équipe UNC (université Caroline du Nord) a également reçu une subvention de recherche de l' Agence pour la recherche et la qualité en soins de santé pour financer un Centre de recherche sur l'excellence en services cliniques préventifs de 2011 à 2015. «Une partie de notre mandat était de parler non seulement aux étudiants en médecine mais aussi aux médecins des communautés, pour les aider à comprendre les avantages et les inconvénients du dépistage », a déclaré le Dr Harris.

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Drs. Schwartz et Woloshin pensent également qu'une meilleure formation des journalistes, des défenseurs et de quiconque diffuse les résultats des études de dépistage est essentielle. "

Beaucoup de gens constatent ces messages, alors les gens qui les écrivent doivent comprendre [ce que les statistiques de dépistage du cancer signifient vraiment]", a déclaré le Dr Woloshin.

Les patients également ont besoin de connaître les bonnes questions à poser à leur médecin. Toujours demander les vraies valeurs, ce qu'on doit demander n'est pas la survie à 5 ans mais "quelle est ma probabilité de décéder de la maladie lorsque je suis dépisté et lorsque je ne le suis pas ?"

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