Réflexion d’une radiologue

11 février 2024, Dr Cécile Bour, radiologue

A la suite de publications récentes sur les carcinomes in situ et les lésions du sein dites 'frontières', constituant une surdétection inutile du dépistage car n'impactant pas la vie des femmes, je me permets ici quelques considérations personnelles, issues de ma propre pratique et des constatations que j'ai pu accumuler, ayant suivi de près ce dépistage depuis sa genèse et sa généralisation en 2004 en tant que jeune radiologue installée, jusqu'à l'aboutissement de nos jours, à un âge où ma carrière vient toucher à sa fin.

Il convient de rappeler, encore et toujours, que le but premier d'un dépistage n'est pas de récolter des lésions à foison, n'est pas de trouver un maximum de choses, mais d'en tirer des bénéfices de trois sortes :
 réduire la mortalité par la maladie,
 diminuer le nombre des formes avancées de cancer du sein,
• alléger les traitements en faisant reculer les mastectomies totales et les traitements les plus lourds.

L’effet sur la mortalité par cancer du sein est non démontré (selon diverses hypothèses et diverses méta-analyse, il faudrait, en gros, suivre 700 à 2 500 femmes pendant quatorze ans à 20 ans pour trouver un seul décès évité). En parallèle :
• Les diagnostics en excès, appelés les surdiagnostics, selon les évaluations les plus pessimistes atteignent 30 à 50 %.
• les cancers de l’intervalle, malgré tous les efforts de détection précoce, qui sont les plus néfastes et agressifs, représentent toujours un tiers des cas de cancers .
* les traitements agressifs sont en augmentation. (Environ 30 à 35% de chimio- et radiothérapies en plus. Les procédures chirurgicales ne diminuent en rien, au contraire).

À partir, déjà des années 1990, au fur et à mesure que se développe le dépistage, on observe une flambée de cancers canalaires in situ.
Cet accroissement spectaculaire du nombre de cancers in situ diagnostiqués est signalé déjà en 1996 par Virginia Ernster, une épidémiologiste de l’université de Californie, San Francisco (Ernster Vl, Barclay J et al. Incidence of and treatment for ductal carcinoma in situ of the breast. JAMA. 1996 Mar 27;275(12):913-8. )

Les atypies et lésions frontières sont mises en évidence déjà par Nielsen ce que relate une méta-analyse d'études d'autopsies, sur 13 études  de 10 pays différents, sur 6 décades (de 1948 à 2010), incluant  2363 autopsies avec 99 cas de cancers dits "incidentalomes" (cancers de découverte fortuite), de lésions précancéreuses, de cancers in situ et d'hyperplasies atypiques, mais parallèlement peu de cancers invasifs.

Deux études apportent elles aussi une lumière sur ces lésions et sur le fait que leur présence dans le sein est fréquente, sans que la vie des femmes soit impactée : l’étude de Nashville au Tennessee (Page Dl, Dupont WD et al. Continued local recurrence of carcinoma 15-25 years after a diagnosis of low grade ductal carcinoma in situ of the breast treated only by biopsy. Cancer. 1995 Oct 1;76(7):1197-200. ), et l’étude de Bologne en Italie (Eusebi V, , Feudale E, Foschini MP et al. Long-term follow-up of in situ carcinoma of the breast. Seminars in Diagnostic Pathology. 1989;6(2):165-173. )

Elles relatent les cas de femmes pour qui le diagnostic de carcinome in situ a été fait avec un retard de dix à vingt ans. Lors de la première lecture effectuée des biopsies, faite dans les années 1950 pour l'une et en 1960 pour l'autre étude, les lésions avaient été classées bénignes.
Les femmes n’avaient donc pas été traitées.
Mais après la relecture plus récente ensuite de ces mêmes biopsies, il s’est avéré que ces femmes étaient en fait bel et bien porteuses d’un cancer in situ.
Comment ces cancers qui avaient échappé à la vigilance des médecins ont-ils évolué ? Parmi les femmes du Tennessee, dix ans plus tard, 25 % d'entre elles, vivantes, avaient un cancer invasif et parmi les Italiennes, vingt ans plus tard, 11 % avaient un cancer invasif, ce qui revient à dire que respectivement 75 % et 89 % de ces femmes porteuses d’un carcinome in situ n’avaient PAS développé de cancer invasif.

On peut bien sûr objecter que c'est dommage pour la majorité de femmes porteuses d’un cancer in situ de se voir traitées inutilement pour sauver la petite minorité avec CIS et qui, elle, va présenter un cancer invasif. Mais que c'est un dommage somme toute acceptable.
Si cela était bien le cas et que les traitements des CIS étaient bénéfiques, on observerait chez les femmes dépistées une diminution des formes les plus graves de cancers et une baisse drastique de la mortalité par cancer du sein. Or, cela ne se produit pas.

Une étude très récente démontre que les dépistages ne prolongent pas la durée de la vie.
L'étude de Toronto montre que traiter les cancers canalaires in situ ne réduit pas la mortalité par cancer du sein, et que la prévention des récidives par radiothérapie ou mastectomie ne réduit pas non plus le risque de mortalité par cancer du sein.

Le diagnostic par dépistage d’un cancer in situ impacte profondément la qualité de la vie des femmes, qui, non informées de ces potentiels dangers auxquels le dépistage les expose, subissent toujours des traitements agressifs et une profonde angoisse de maladie sans bénéfice prouvé.

Où en sommes-nous à présent ?

Nous essayons de "rattraper le coup". On s'est fourvoyés, on a promis l'impossible aux femmes et comme ce Titanic de dépistage ne peut plus faire marche arrière, alors nous essayons de lui lancer quelques bouées de sauvetage en tentant, tant bien que mal, de limiter les dégâts et de prôner une désescalade thérapeutique.
Mais nous poussons le cynisme à faire cela "en accord avec la patiente", en lui donnant la possibilité de faire sa "propre décision". Alors oui c'est très bien et très moderne la décision partagée, nous-mêmes militons pour, car qui pourrait être contre.
Mais finalement, après avoir terrorisé les femmes pendant des décennies sur la possibilité de contracter un cancer du sein si on relâchait ne serait-ce qu'un tantinet la pression, après leur avoir corné que chaque minute compte, qu'il ne faut pas laisser la moindre petite cellule dégradée dans un sein, là maintenant on freine des quatre fers pour réduire nos traitements abusifs, et nous faisons peser tout le poids de la décision que la femme estimera toujours lourde de conséquences sur ses épaules, à elle.
Les interrogations "ai-je bien fait?" lui pèseront comme une épée de Damoclès toute sa vie durant, et de contrôle en contrôle.
Nous ne pourrons pas, en rien, avec cette désescalade thérapeutique que nous appelons de nos voeux, pour autant soulager les femmes d'une angoisse mortelle, nous avons juste lâchement glissé la responsabilité du terrain du médecin vers celui de la femme.

Cela au lieu d'avoir le courage, tous, d'avouer aux femmes que les campagnes de dépistage ont été instaurées trop vite, trop tôt, sans preuve suffisante, qu'on a fait fausse route, qu'on s'est plantés, qu'il n'y a pas de perte de chance réelle à ne pas aller au dépistage, qu'on peut faire sans, que finalement plus on avance, et plus on bidouille, plus on change notre "cuisine thérapeutique" sans parvenir à bout du cancer tueur, le seul qu'il nous fallait juguler, ce que le dépistage a complètement échoué à faire.

Je trouve cette lâcheté et ce culot à faire tout peser sur les épaules des femmes d'un cynisme confondant.

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Témoignage d’une dame anglaise

Nous avons reçu ce témoignage de Pauline A.

"Hello
Last March 2022 at 53 I was diagnosed with high grade DCIS and offered mastectomy with sentinel node biopsy . After realising the controversy around breast screening and DCIS after diagnosis and having a particularly bad time with health professionals I declined. This has been a particularly hard time and I cannot know for certain if it is the right decision. There was an easily missable link to information about the benefits and risks of screening on the letter of invitation that I did not notice and was never alerted to and as such I feel I did not give ‘informed consent, This completely avoidable event has been devastating and at times the pain is almost insurmountable . I do not know anyone who is living with the uncertainty of this, and would appreciate words of comfort or at least an appreciation of the dilemma I am faced with . How can it be ethical to diagnose someone with a disease where the natural history is unknown and pressure ( bully) them into treatment that they do not want . This needs to stop . If my experience can be helpful in that aim please let me know . . This process has left me feeling assaulted by the NHS .
Kind Regards
Pauline A."

"En mars 2022, à 53 ans, j’ai reçu un diagnostic de CIS (carcinome in situ) de haut grade et on m’a proposé une mastectomie avec biopsie du ganglion sentinelle. Après avoir pris conscience de la controverse entourant le dépistage du cancer du sein et le CIS, après le diagnostic et après avoir passé un moment particulièrement difficile avec les professionnels de la santé, j’ai refusé. Cela a été une période particulièrement difficile et je ne peux pas savoir avec certitude si c’est la bonne décision.
Dans la lettre d’invitation il y avait un lien qu'on pouvait facilement rater, vers des renseignements sur les bénéfices et les risques du dépistage, que je n’ai pas remarqué et dont je n’ai jamais été alertée.
J’ai donc l’impression de ne pas avoir donné un « consentement éclairé ». Cet événement tout à fait évitable a été dévastateur et, parfois, la douleur est presque insurmontable.
Je ne connais personne qui vive dans l’incertitude de cette situation et j'apprécierais des paroles de réconfort ou du moins une appréciation du dilemme auquel je suis confronté. Comment cela peut-il être éthique de diagnostiquer quelqu’un avec une maladie où l’histoire naturelle est inconnue et le forcer à subir un traitement dont il ne veut pas.
Si mon expérience peut être utile dans ce but, veuillez me le faire savoir [...]
Ce processus m’a laissée dans un sentiment d'être agressée par le NHS*."
*NHS : système de la santé publique du Royaume-Uni

La patiente britannique nous a fourni la lettre d'invitation envoyée aux patientes éligibles au dépistage du cancer du sein.

Download / Télécharger

Cette lettre d'invitation a une particularité que les documents de convocation français n'ont pas, à savoir elle utilise une méthode d'influence appelée 'opt-out', qui consiste à attribuer aux citoyens un rendez-vous fixé à l'avance au moment de l'invitation. Si la personne ne souhaite pas participer elle doit se désengager activement. On considère de facto le non-refus du patient comme acceptation de participer. En France nous ne connaissons pas ce système de prise de rendez-vous imposé, en revanche le système de relance est largement utilisé si une patiente ne se présente pas au rendez-vous de mammographie de dépistage (relances par courriers et parfois sms).

Une étude universitaire a été consacrée aux méthodes d'influence utilisées sur les femmes et l'institut national du cancer français épinglé pour présentation trompeuse des statistiques et représentation déséquilibrée des dommages par rapport aux bénéfices.

Lire aussi : La manipulation des femmes est une thématique scientifique à part entière, ici : https://cancer-rose.fr/2020/09/02/manipulation-de-linformation-sur-le-depistage-du-cancer-du-sein-comme-thematique-scientifique/

Concernant spécifiquement la thématique des carcinomes in situ, il y a un site dédié très instructif pour les femmes atteintes de CIS, tenu par Donna Pinto, accessible en français avec la traduction automatique.
https://dcis411.com/author/dp4peace/

 

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Un blog, pour les femmes avec CIS (carcinomes in situ)

Be Wise !

Témoignage de Donna

Le CIS, qu'est-ce ?


Be Wise !

 

https://dcis411.com/

Ce blog est un témoignage d'une jeune femme de 44 ans, Donna Pinto, qui a décidé de partager son histoire après un diagnostic de carcinome in situ mammaire. Après une période de panique, Donna a pris le parti de se documenter sérieusement pour prendre des choix éclairés. Il ne s'agit pas uniquement d'un partage d'expérience personnelle, car on trouvera aussi sur les pages de "DCIS 411" une foule de ressources utiles rassemblées ici : https://dcis411.com/bewise/ sous le mot d'ordre "be wise", appelant à la prise du pouvoir en santé.

Selon Donna Pinto "be wise" est une  "initiative pour la santé des femmes avec une mission urgente de santé publique - s'assurer que toutes les femmes soient correctement informées des dangers potentiels graves du dépistage du cancer du sein.

Les conflits d'intérêts et les campagnes de marketing bien financées ont créé un déséquilibre de l'information, en promouvant une histoire à sens unique des avantages «vitaux» de la mammographie de routine tout en ignorant ou minimisant ses dommages graves."

L'appel "be wise" n'est pas sans rappeler le mouvement plus général de "choosing wisely", demandant une information éclairée des femmes pour une prise de décision avisée et partagée, dont nous parlions récemment[1] .On voit qu'il y a ben une demande générale du public de transparence dans l'information en santé, et de prise de décision partagée, en ayant toutes les données en main.

Forte de son expérience, Donna a créé son blog d'information pour aider les femmes du monde entier à recevoir les mêmes informations et toutes les ressources utiles, et à avoir accès à un espace de soutien.

La page "ressources" contient, outres des vidéos, un visuel à points reflétant la balance bénéfice / risques du dépistage à l'instar de notre affiche publiée sur notre page d'accueil, téléchargeable.

Nous saluons la présence de ce blog qui ne peut qu'apaiser et informer des femmes certainement affolées exagérément par ces diagnostics de CIS, actuellement davantage considérés comme marqueur du risque de cancer du sein que comme cancers vrais, et dont la découverte est majorée par les dépistages intensifs. Leur pourcentage ne fait que croître, alors que leur traitement n'a pas de retentissement sur la mortalité. Ils alimentent surdiagnostics et surtraitements.

Les carcinomes de type canalaires in situ (CCIS) du sein représentent 85% à 90% des cancers in situ du sein. Ces lésions sont asymptomatiques et fréquemment diagnostiquées lors du dépistage mammographique, en particulier sous forme de microcalcifications.
En France il n'y a pas de recommandation de proposer une surveillance active comme alternative au traitement local, c’est-à-dire à l’exérèse chirurgicale, en dehors d’essais cliniques encadrés.

Toutes ces ressources sont donc très utiles à connaître.

Témoignage de Donna

Témoignage de Donna Pinto, patiente américaine, auteure du blog DCIS 411, pour Cancer Rose

Des articles traduits de son blog, avec son aimable autorisation, vont suivre.

Merci Donna!

J'ai lancé mon blog DCIS 411 en décembre 2011, après un diagnostic de carcinome in situ (CCIS) et près de deux ans de recherches quotidiennes en ligne sur le "sur-traitement" du CCIS. À l'époque, j'étais une des rares patientes à résister aux pressions exercées par les prestataires de soins de santé pour davantage de biopsies, de chirurgies lourdes, de semaines de radiations et d'années de médication.  J'ai été choquée d'apprendre également l'épidémie de "surdiagnostic", qui touche chaque année des dizaines de milliers de femmes dans le monde. Au départ, comme la plupart des femmes, j'étais naïve et pas du tout consciente des risques liés aux mammographies de dépistage, car rien ne mentionnait les inconvénients potentiels. Grâce à mes interminables heures de recherche, j'ai pris pleinement conscience de la désinformation et des perceptions erronées présentées dans les médias - et même par les professionnels de la santé - sur le dépistage par mammographie. J'étais non seulement bouleversée par ce qui m'était arrivé, mais aussi extrêmement inquiète pour les femmes au sein de la population qui n'étaient absolument pas informées des bénéfices et des risques réels du dépistage du cancer du sein. Je voulais leur éviter de subir le même sort que moi (biopsies douloureuses, interventions chirurgicales déformantes, angoisse émotionnelle et harcèlement médical). Tout cela a été inutile et aurait pu être évité si j'avais été correctement informée. J'ai créé mon site Web et blog pour partager mes expériences personnelles et recherches sur le surdiagnostic et le surtraitement du CCIS, contribuer à éduquer et à avertir toutes les femmes pour qu'elles ne tombent pas victimes des campagnes de propagande rose.

Les carcinomes in situ (CIS)[2]

Lire aussi l'article de la FAQ https://cancer-rose.fr/2019/09/04/quest-ce-quun-carcinome-in-situ/

Ils alimentent les surdiagnostics. Les essais et études montrent que la croissante détection des CIS n’a pas contribué à la réduction de la mortalité par cancer du sein. Avant l’ère des dépistages, le CIS représentait moins de 5% de tous les cancers du sein pour passer à 15 à 20% dans tous les pays où les campagnes de dépistage existent. Ils ne sont pas comptabilisés dans les chiffres d'incidence (taux des nouveaux cas) donnés par l'Institut National du Cancer, car considérés à part, et non en tant que cancers "vrais".

En plus on manque d’un réel consensus parmi les anatomo-pathologistes pour le classement de ces lésions lors de l'analyse des biopsies qu'ils reçoivent, avec une tendance à les surclasser dans des catégories de pronostic plus défavorables, de peur de sous-estimer une "maladie".

la plupart des CIS sont considérés comme des lésions- précurseurs non obligatoires du cancer invasif ; paradoxalement l’augmentation spectaculaire de leur détection suivie de leur ablation chirurgicale n’a pas été suivie de baisses proportionnelles de l’incidence des cancers invasifs.

Le problème majeur est que ces entités particulières des cancers du sein sont traitées avec la même lourdeur qu'un cancer du sein.

En novembre 2016, une étude de l'université de Toronto arrive aux résultats suivants :

  • Leur traitement ne fait pas de différence sur la survie des femmes.
  • Les femmes atteintes de CIS sont lourdement traitées (parfois par mastectomie bilatérale) et ont la même probabilité de décéder d’un cancer du sein par rapport aux femmes dans la population générale.
  • Traiter les CIS ne diminue pas leurs récidives.
  • La prévention des récidives par radiothérapie ou mastectomie ne réduirait pas non plus le risque de mortalité par cancer du sein.

De même, notre étude sur les mastectomies en France objectivait une augmentation régulière des actes chirurgicaux, notre hypothèse première étant le surtraitement de lésions qui ne sont pas des cancers invasifs, mais des lésions dites pré-cancéreuses et les CIS.[3] [4]

Les conséquences à long terme du surtraitement peuvent mettre la vie des femmes en danger. Par exemple, la radiothérapie faite sur ces lésions semble incapable de réduire le risque de décès par cancer du sein, mais elle est associée à une augmentation dose-dépendante (de 10 à 100% sur 20 ans) du taux d’événements coronariens majeurs. [5]

D'ailleurs dans plusieurs pays sont entrepris des essais cliniques visant à tester une simple surveillance active notamment pour le CIS de bas grade plutôt qu'un traitement agressif :

Pour Philippe Autier[6], de l'International Prevention Research Institute (IPRI) le problème est indubitablement inhérent à la mammographie routinière, en particulier la mammographie numérique qui est trop performante concernant la détection des petites calcifications ; celles-ci sont le signe radiologique le plus fréquent de ces formes, et la mammographie présente une excellente sensibilité pour la détection de ces microcalcifications.

Vous trouverez dans notre médiathèque plusieurs cas cliniques de carcinomes in situ, appelées abusivement carcinomes.[7]

Références

[1] https://cancer-rose.fr/2020/05/26/le-defi-de-la-mise-en-oeuvre-de-less-is-more-medicine-une-perspective-europeenne/

[2] Voir 10ème point abordé en partant du haut, de l'article https://cancer-rose.fr/2019/09/06/le-depistage-mammographique-un-enjeu-majeur-en-medecine/

[3] https://cancer-rose.fr/wp-content/uploads/2019/09/Etude-mastectomies-en-France-.pdf

[4] https://cancer-rose.fr/2019/08/09/explication-de-letude-sur-les-mastectomies-en-france/

[5] SC Darby, M. Ewertz, P. McGale, AM Bennet, U. Blom-Goldman, D. Bronnum, et al.Risque de cardiopathie ischémique chez les femmes après radiothérapie pour cancer du sein-N Engl J Med, 368 (11) (2013), p. 987-998

[6] https://cancer-rose.fr/2019/09/06/le-depistage-mammographique-un-enjeu-majeur-en-medecine/

[7] https://cancer-rose.fr/mediatheque/mediatheque-cas-cliniques/

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La saga du cancer au stade 0

La saga du CCIS au stade 0 - Témoignage de Lynn Good

Posté le 25 janvier, 2023 par Donna Pinto, qui tient le site DCIS411 :

Sur le site de Donna vous trouverez une foule d'informations sur le carcinome in situ, entité particulière de lésion du sein, pour laquelle certains scientifiques demandent une autre dénomination que "carcinome".
(Article sur le sujet ici.)

Donna Pinto a créé ce blog pour aider les femmes du monde entier à recevoir les mêmes informations et ressources qui l'ont aidée, informée et encouragée, et il fournit un espace de soutien et de connexion bénéfique pour les femmes qui sont concernées.
Vous pouvez avoir accès au contenu par la traduction automatique en français qui fonctionne plutôt bien et vous permettra de lire des articles informatifs et des témoignages.

Il s'agit ici du témoignage de Lynn Good ; traduction en français avec l’aimable autorisation de l’auteur du blog DCIS411 Donna Pinto et de l’auteure du témoignage Lynn Good (Etats-Unis)

Merci Donna et Lynn !

Témoignage :

Merci pour ce blogue ; il m'a été d'une grande aide.

Il y a quelques mois, mon médecin de famille a insisté pour que je fasse une mammographie.
J'ai 70 ans et j'avais déjà fait une mammographie 16 mois auparavant. Il n'y a pas d'antécédents de cancer du sein dans ma famille.
Après la mammographie, le centre de radiologie m'a demandé de revenir pour d'autres examens d'imagerie, car ils pensaient avoir vu quelque chose d'inquiétant. Les résultats du deuxième examen, plus détaillé, ont révélé des calcifications ; la radiologue m'a montré les images et m'a dit que je pouvais choisir entre une surveillance et une biopsie ; elle a dit que les calcifications étaient près de la paroi thoracique et qu'elle n'était pas sûre qu'une biopsie permettrait de les atteindre. J'ai répondu que j'étais prête à attendre.
À ce moment-là, elle a commencé à me mettre la pression pour que je choisisse de subir une biopsie. J'ai accepté, m'attendant à ce qu'elle soit négative. La procédure a nécessité trois essais, la troisième fois avec une aiguille plus grosse, pour parvenir au prélèvement souhaité. Un clip a été placé pour marquer l'emplacement. Les résultats de la biopsie sont revenus : carcinome canalaire in situ (CCIS), ER+, sein gauche, stade 0.
Mon médecin de famille m'a alors orientée vers une IRM de suivi des deux seins et vers un chirurgien et un oncologue. Cette IRM a été réalisée et n'a rien montré. RIEN ! Le radiologue et mon médecin de famille ont parlé de la possibilité d’une tumorectomie pour traiter le CCIS ; mon médecin m’a informée que le tamoxifène ou un autre suppresseur d'œstrogènes pourrait être prescrit pour traiter la sensibilité aux œstrogènes indiquée dans le rapport pathologique de la biopsie.
Ni l'un ni l'autre n'a mentionné le fait que l'IRM était normale.

Lors de la consultation chirurgicale, la chirurgienne a commencé par montrer qu'elle connaissait mes antécédents médicaux, ce qui semblait révéler qu'elle avait bien fait son travail, puis elle nous a laissé la possibilité de poser des questions. J'ai posé des questions sur la biopsie du ganglion sentinelle en me basant sur les informations que mon frère, dont la femme est décédée d'un cancer du sein, m'avait données ; elle m'a répondu qu'elle utiliserait un colorant bleu pour trouver les ganglions. Elle voulait qu'un clip RFID soit inséré à la place de celui que le radiologue avait mis. Elle a également décrit comment elle procédait pour décider, en fonction de la "sensation" du tissu, de la proportion du sein qu'elle allait enlever. L'échantillon serait ensuite soumis à un examen pathologique pour décider du traitement à suivre.
Alors que j'étais attentive à tout cela, mon mari a mentionné une tumorectomie ; la chirurgienne l'a corrigé en nous disant que ce n'était pas le terme correct - l'intervention était techniquement appelée "mastectomie radicale modifiée"*, mais je n'ai pas retenu cette partie de la conversation. Plus tard à la maison, mon mari en a parlé, disant qu'il pensait que cela signifiait l'ablation de tout le sein. ( À ce propos, sa première femme est décédée d'un cancer du sein et il m'a raconté au cours de nos années de vie commune comment ça s’est passé, alors je ne suis pas étrangère à ce que le cancer peut entraîner chez une personne). Cela m'a bouleversée. Le lendemain, un vendredi, j'ai laissé un message sur le répondeur en demandant à la chirurgienne de m'appeler pour préciser si elle prévoyait une conservation du sein ou une ablation totale. Comme elle était en intervention ce jour-là, on m'a dit qu'elle ne pourrait pas me rappeler avant lundi. Plus tard dans la journée, son assistante a appelé et m'a donné les dates de l'opération et pour toutes les autres procédures associées.

*La mastectomie radicale modifiée permet d'enlever tout le sein, le mamelon, presque tous ou tous les ganglions lymphatiques à l'aisselle et le tissu qui recouvre les muscles du thorax. (NDLR)

Pendant le week-end, j'ai essayé de trouver des informations sur ce qu'était une "mastectomie radicale modifiée" ; je crois que je l'avais entendu mentionnée, mais je pensais que  "modifiée" signifiait qu'il s'agissait d'une tumorectomie. Ce que j'ai trouvé m'a confirmé que ce n'était pas le cas. J'ai aussi découvert ce que l'opération impliquait pour mon corps et ce que je pouvais ressentir. Et je suis tombée sur un certain nombre d'articles, dans des revues et des publications réputées, sur le traitement excessif du CCIS par la chirurgie. Que le CCIS ne progresse pas toujours. J'ai également trouvé ce site Web [DCIS 411 https://dcis411.com]. Après beaucoup d'angoisse et après en avoir discuté avec mon mari, j'ai réalisé que j'avais plus peur de voir mon corps mutilé et d'être traumatisée par la procédure chirurgicale et la perspective de vivre le reste de ma vie d'un scanner à l'autre en me demandant s'il était normal ou non, que de mourir ! Comme je l'ai dit, j'ai 70 ans et j'ai eu une très belle vie. J'ai également commencé à avoir des problèmes de santé qui, même avant cela, m'ont amenée à commencer à réfléchir aux questions de fin de vie parce que, vous savez quoi ? Nous finissons tous par mourir !

À la fin du week-end, je savais que je n'allais pas procéder à l'opération, du moins pas maintenant. Je suis même un peu réticente à l'idée d'un deuxième avis ou d'un suivi, car je m'attends à ce qu'on me pousse à nouveau vers ce traitement. Je vais retourner voir mon médecin de famille et essayer d'explorer d'autres options, dont aucune, vous le remarquez, ne m'a encore été présentée, ni d'information sur les avantages et les inconvénients des options, ou des descriptions des suites possibles/probables des alternatives.
Je ne sais pas s'il existe dans ma région des praticiens qui envisageraient d'autres approches ou respecteraient mes valeurs et mon droit de choisir, mais je vais essayer d'en trouver un.

Récemment, à l'approche de mon 70e anniversaire, j'ai eu l'impression d'avoir atteint la durée de vie normale d'un être humain ; je sens bien que des signes de fatigue commencent à apparaître dans mon corps. Mais aujourd'hui, je suis toujours là, et chaque jour que cela est vrai est un cadeau. Je choisis de vivre cette expérience dans un corps intact, et non dans un corps mutilé avec un esprit traumatisé et terrifié par la perspective d'un scanner ou d'un rapport médical négatif à l'avenir, et par ce qu'il faudra me faire pour le traiter. Et je suis prête à vivre avec les conséquences de ce choix.

Je suis sûre que ma décision n'est pas nécessairement la bonne pour les autres ; les situations sont différentes, chacun doit décider pour lui-même, et personne ne sait vraiment ce que cela signifie de se mettre à la place d'une autre personne.

Réponse de Donna

Merci Lynn d'avoir partagé votre histoire et vos réflexions. Je suis si heureuse que vous ayez trouvé de l'aide et du réconfort auprès de DCIS 411. Je vous souhaite sérénité, amour, clarté et santé - Donna Pinto

Pour toute personne intéressée à écrire un article de blog invité, veuillez m'envoyer un courriel (Donna) à dp4peace@yahoo.com.

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Réflexions d’un dépisteur

"Réflexions d'un dépisteur" de Dominique Gros, publiées dans la revue Psycho-Oncologie en 2013

Le Dr. Dominique Gros est oncologue et sénologue.
Ancien praticien hospitalier des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, il est auteur de "Cancer du sein : entre raison et sentiments" , Edition Springer, (2009).

Publié avec l'aimable autorisation de l'auteur.

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Un manque d’information

Témoignage Mme A.

Avril 2022

Je suis bénévole au sein du collectif StopVOG. (Stop-violences obstétricales et gynécologiques)
Je les ai rejoint•e•s cette année, après avoir été victime de violences de la part d’une gynécologue. Quelques jours avant cette horrible consultation, disciplinée ( aujourd’hui je dirai plutôt, bêtement disciplinée) je suis allée faire la mammographie de dépistage organisée, sur injonction de mon médecin traitant ( j’ai 56 ans). Le radiologue a été fort désagréable, me reprochant vertement de n’en avoir pas fait depuis 4 ans (ce à quoi, je n’ai pu m’empêcher de lui faire observer que le « O » de D.O. voulait dire « organisé »  et non « obligatoire » , ) et surtout d’avoir oublié mes clichés précédents, (ce que j’avais pourtant signalé à mon arrivée, proposant de revenir en reprenant rendez-vous).
À la fin de l’échographie, il me dit, sans explication : «  puisque je n’ai pas les anciens clichés, je vais vous faire DES biopsies aux points douteux. ». Déjà refroidie par sa première remarque, tout en lui disant « C’est non ! », je me suis relevée et rhabillée. La consultation s’est achevée sur un : « Tant pis pour vous ! »
Mon médecin traitant a conclu, à la réception du compte-rendu, que rien ne justifiait des biopsies.

Je me suis alors intéressée de près à ce dépistage organisé du cancer du sein… et chaque nouvelle lecture me met davantage en colère. Il nous manque une information complète, et non orientée, afin de nous faire culpabiliser si on ne se « soumet » pas au dépistage. On ne nous donne pas les données justes sur les bénéfices de ce dépistage. Après avoir lu le compte-rendu Cochrane, mes recherches sur le NET m’ont amenée à visiter le site de votre collectif. Ce que j’y ai trouvé renforçait mon sentiment d’une information tronquée et orientée à destination des femmes.
Les médecins "savent" et les femmes doivent obtempérer sans poser de questions, avec docilité, et sans se plaindre ! Beaucoup de femmes de mon entourage à qui j’en ai parlé me trouvent injuste envers ce dépistage qui sauve tant de vies ! Aucune ne remet en cause le bien-fondé de ce dépistage, puisque c’est une recommandation de leurs médecins. 20 ans que l’information des patients est inscrite dans la loi… et nous continuons à répondre à cette « invitation » de dépistage sans poser de questions !

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Le dépistage ne permet que la détection de cancers lents

Une observation de notre confrère sénologue, Dr Granger, novembre 2021

Un cancer à haut potentiel invasif, Mme NP

Mme NP, 53 ans, consulte suite à son dernier bilan sénologique: celui-ci a été classé ACR 4, pour la découverte d'une lésion échographique atténuante du sein gauche. Après micro-biopsie et IRM très rapidement réalisées, il n'y aurait finalement rien de suspect. Mme NP se demande pourtant quelle « vérité vraie » est cachée derrière cet « ACR 4 » devenu soudain « non suspect », et quel suivi je peux lui proposer.

            Cliniquement ses seins sont souples et réguliers, sans nodule repérable. Il n'y a pas d'écoulement, ni d’adénopathies. La mammographie montre une fibrose dense : si les clichés ont été jugés « normaux » ils sont en fait très peu informatifs du fait de l’opacité des tissus, on peut seulement noter qu’il n’y a pas de calcifications. L'échographie confirme l'existence de multiples plages hypo-échogènes disséminées. La plus importante, à l’union des quadrants externes gauches, effectivement atténuante, évoque en priorité une structure kystique ancienne, arrondie, finement échogène. Sa ponction sous repérage écho avec une aiguille de 18 G permet d'évacuer une sérosité pâteuse dont l'étalement sur lame est parfaitement translucide et homogène : il s’agit d’un kyste gélifié simple.

            Conclusion : kyste gélifié banal (la cytologie de l’étalement confirmera). Contrôle échographique de principe conseillé dans un an.

            La surveillance est sans problème pendant 4 ans. Puis un nouveau contrôle permet de constater l’apparition en supéro-interne droit (en contro-latéral donc de l’image kystique initiale) d’une lacune hypo-échogène à contours irréguliers de 5 mm de diamètre environ, d'aspect très douteux : sa ponction sous repérage, pauvre, permet d'effectuer une lame pour analyse cytologique. Cette ponction sera acellulaire, donc non informative : il faut poursuivre les investigations.

            La palpation de contrôle à 3 mois révèle l’apparition d’une zone légèrement plus ferme et mal limitée, non notée précédemment. L’échographie retrouve la lacune hypo-échogène, verticalisée sur certaines coupes (signe de grande valeur en faveur de la malignité), absorbante, mesurant 3 à 6 mm selon les axes de coupe, probablement mitotique.

            Conclusion : présence d'une lésion échographique très suspecte en supéro-interne droit nécessitant son exérèse après repérage échographique. La micro-biopsie n’est pas réalisée du fait de la très petite taille de la lésion, afin de ne pas dilacérer celle-ci pour un examen histologique définitif correct (consignes de mon anatomo-pathologiste).

            Le chirurgien choisi acceptera d’intervenir « à l’ancienne », sur la seule foi de mon imagerie échographique. Diagnostic histologique : carcinome lobulaire infiltrant constitué de 2 foyers de 2 et 4 mm, séparés de moins de 5 mm, moyennement différencié (SBR 2), avec présence d’engainements péri-nerveux. Le curage comporte 2 ganglions massivement métastatiques. Le traitement comportera chimiothérapie, radiothérapie et hormonothérapie.

            Les 9 premières années sont une phase de « rémission ». Puis on assiste à une élévation significative du CA 15-3 qui passe en un an de 28 (normal pour le laboratoire) à 48 U/ml. Un TEP scan révèle alors une lésion hyper métabolique unique de l’omoplate. La biopsie en confirme la nature métastatique – compatible avec l’origine mammaire connue. Une RTE ciblée est entreprise (inclusion dans l’essai STEREO-OS).

            Le TEP scan de surveillance montrera l’apparition, dès le 3ème mois, de nouveaux foyers hypermétaboliques iliaque, costal, claviculaire.

            Cette observation, toujours en cours, permet de soulever au moins deux points particuliers, pour la pratique en Sénologie et le Dépistage.

1 – Le bilan sénologique initial classé ACR 4 a immédiatement déclenché micro-biopsie et IRM : cette artillerie lourde déclenchée et organisée par le radiologue lui-même, sans concertation, a peut-être « rassuré » celui-ci… mais pas la patiente, repartie sans étiquette précise sur l’anomalie constatée.

            Il suffisait pourtant d’un geste très simple pour que le problème s’éclaire : une ponction à l’aiguille fine sous repérage échographique.

            Cette technique oubliée – pour mémoire : il suffit d’une simple aiguille bleue (6/10 ème de diamètre externe, soit 23G); l’acte est indolore, beaucoup moins invasif qu’une micro-biopsie et coté 2 fois moins cher à la nomenclature des actes médicaux) – donne le plus souvent la bonne réponse : un simple coup d’œil à la lame au spot lumineux est rassurant, montrant ici un étalement en couche mince, homogène et translucide pathognomonique d’un kyste ancien gélifié. Si cette ponction est effectuée avec une aiguille de 18G, l’évacuation du kyste est le plus souvent complète, selon le degré de gélification du kyste. Et cela rassure tout le monde immédiatement, y compris la patiente, avant même la lecture ultérieure du laboratoire.

            La conclusion de ce point est qu’il faut graduer notre réponse, pour ne pas transformer un simple détail fonctionnel – le kyste mammaire étant d’une extrême fréquence en période ménopausique – en cauchemar pour la patiente, et en ruine de la Sécu.

2 – La découverte, 4 ans plus tard, d’une anomalie de l’autre sein, n’a pas conduit à un diagnostic aussi simple. Comme la première fois l’examen clinique et la mammographie étaient normaux, seule l’échographie doutait. La ponction n’a pas été contributive, conduisant à une surveillance rapprochée.

            Je veux souligner ici que 3 mois plus tard la clinique est devenue positive, et l’imagerie plus évidente. La chirurgie faite dans la foulée montre un cancer très évolutif puisque d’emblée bifocal, quoique de petite taille, avec deux ganglions massivement envahis et des phénomènes d’engainement nerveux, de mauvais pronostic. Après quelques années asymptomatiques un bouquet de localisations osseuses apparaîtra très vite après la première, confirmant une évolutivité tous azimuts. La rémission n’était qu’apparente, le cancer se préparait à exploser.

            Cette observation illustre un cas de cancer HPI, à haut potentiel invasif : ces cancers ont toujours un coup d’avance, et nous ne faisons que suivre leurs traces galopantes. Il nous mettent constamment en échec, et c’est bien contre ce type de cancer qu’un dépistage, même très volontariste, est inefficace.

            Le dépistage, comme tous les dépistages, ne permet de découvrir que les cancers d’évolution lente, à bon pronostic spontané.



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Le combat d’un « NON » farouche vers un « OUI » du bout des lèvres.

Témoignage de la pratique de Dr M.Granger, sénologue, 2 octobre 2021

Mme PL, 22 ans de vie partagée avec un cancer du sein,
ou le combat d’un « NON » farouche vers un « OUI » du bout des lèvres.

Février 1999 : Mme PL, 58 ans, consulte pour un nodule du sein droit, qui existerait depuis deux ans, mais qui a récemment subi une évolution inflammatoire. Cliniquement ce nodule est typiquement un kyste sébacé, égaré sur son sein droit.

Cependant la mammographie montre, outre une opacité sous cutanée ovoïde, très bien limitée et en accord avec le diagnostic clinique, un semi de calcifications punctiformes et poussiéreuses, à distance de ce nodule, réparties en une demi- douzaine de petits foyers comportant de nombreux éléments serrés, sans densification ni distorsion architecturale associée. La conclusion de cette première rencontre, pour un motif bénin, est l’existence probable d’un « carcinome intra- canalaire rétro-mamelonnaire droit, une histologie est nécessaire ».

Cette dame étant suivie par un médecin homéopathe très proche de ses patientes, aucune directive de prise en charge n’est donnée, hormis la conclusion rapportée ci-dessus. Sans nouvelles les mois suivants, j’écris à mon confrère : Mme PL a bien été opérée, et la réponse a été « positive ».

M’étant procuré les compte-rendus opératoire et histologique, j’apprends qu’il s’agissait d’un CCI de 6 mm, exérésé in sano à plus de 2 mm. Le contingent intra- canalaire périphérique comporte de fines calcifications régulières. Il entre en contact avec les limites d’exérèse. Le curage fait dans un second temps (pas d’extemporané initial, s’agissant d’une simple biopsie chirurgicale de micro calcifications [nous sommes en 1999]), associé à la reprise du lit tumoral montre : aucun résidu tumoral, et un curage des 3 étages négatif (0/15).

Septembre 1999 : premier suivi post-opératoire à 6 mois. Cet examen est satisfaisant, avec une banale zone de stéato-nécrose du foyer opératoire. Un nouveau rendez-vous est donné à 6 mois, surveillance classique.

Juin 2000 : contrôle 14 mois après la chirurgie initiale.
Mme PL précise alors qu’elle n’a pas consulté en oncologie, qu’elle redoute « les rayons » et ne les fera pas, conseillée en cela par son médecin homéopathe qui estime inutile de faire des rayons « pour rien », les résultats de la reprise du lit tumoral et du curage ayant été normaux.

Mme PL reviendra ensuite scrupuleusement, chaque année en juin, pendant 12 ans. Elle m’apprend en 2011 qu’elle divorce. L’année suivante l’imagerie s’est transformée : une micro opacité, non significative jusqu’alors, a doublé de volume, apparait spiculée, et mesure 6 mm en échographie. Même sein, à proximité du lit initial. La cytoponction faite d’emblée montre une purée cellulaire caractéristique d’un carcinome. Il s’agit donc d’une récidive in situ. Il faut réopérer.

Juillet 2012 : Mme PL choisit de ne pas revoir son chirurgien initial, et de consulter une célébrité parisienne. L’opération faite en juillet 2012 devra se limiter à une
« large quadrantectomie », car la patiente a refusé la mastectomie préconisée. Malgré cela l’histologie de la pièce opératoire est... négative : le pathologiste n’a pas retrouvé de prolifération tumorale.

Octobre 2012 : quand Mme PL revient pour un nouveau contrôle post-opératoire à 3 mois, je découvre cette « discordance » : je questionne – Mme PL la découvre aussi, et finis par m’étrangler... Car j’ai une foi absolue en ma méthode de ponction et en la lecture pointue de ma cyto-pathologiste, formée à l’école Zajdela de l’institut Curie : où est l’erreur ?... L’IRM montrera la persistance d’un intense et précoce rehaussement correspondant à la lésion recherchée. Mon échographie retrouve la lacune mitotique, inchangée, de 6 mm. La conclusion s’impose dans un soupir: la lésion est restée en place.

Novembre 2012 : la patiente est alors réopérée, dans la même clinique parisienne : « hémi-mastectomie droite » emportant l’hameçon de repérage. On pourrait voir dans cette hémi-mastectomie, soit une certaine « largesse » du chirurgien, peut-être gêné par cette reprise involontaire, soit une technique de repérage mal maitrisée ? Ce qui est sûr c’est que l’analyse histologique ne montre toujours pas la lésion tumorale, mais de banals remaniements inflammatoires. Cette discordance récidivante ne soulève toujours pas de question métaphysique.

Avril 2013 : nouvel examen de contrôle, difficile. Le sein est défiguré, la cicatrice est collée, au décours d’un très volumineux hématome post-opératoire. Doute sur la persistance de l’anomalie initiale, toujours à l’union des quadrants externes du sein droit. Une nouvelle IRM reviendra pourtant normale. OUF, les tribulations de ce cancer semblent terminées (?), mais avec le goût amer de ne pas avoir tout compris : où donc est passée cette tumeur de 6 mm ?...

Octobre 2013 : six mois plus tard, Mme PL révèle qu’elle est suivie en Belgique, qu’elle prend du 2LC1-N pour soutenir son immunité. Elle acceptera cependant mon suivi régulier.

Mai 2016 : je la revois en effet régulièrement, tous les ans désormais. En mai 2016 elle me signale un petit grain intradermique, à l’union des quadrants externe du sein droit, donc toujours dans la même localisation. La cytologie est... obstinément maligne. Cette fois, un peu las de tous ces errements, j’explique haut et clair que les choix effectués jusqu’à ce jour n’ont pas résolu le problème, et qu’il conviendrait de faire une « vraie » mastectomie associée à une RT de la paroi. Cet avis est confirmé par la Faculté (CHU de P...). Pourtant Mme PL continue de refuser et la micro biopsie et la mastectomie.

Septembre 2016 : sous la pression d’un autre CHU (T...), Mme PL acceptera l’exérèse biopsique de son nodule : le CCI est cette fois bien estampillé, les récepteurs hormonaux sont fortement positifs. Une mastectomie est programmée : elle sera refusée, de même que l’hormonothérapie. De même que la radiothérapie, une nouvelle fois.

Mars 2017 : le nodule récidivera encore, après son exérèse localisée, au même endroit... Une nouvelle ponction (maligne) convaincra enfin la patiente... Une mastectomie simple, sans radiothérapie, sera finalement réalisée en mai 2017, soit 18 ans après la première tumorectomie, et trois interventions « conservatrices » qui avaient déjà très largement entamé le sein...

Octobre 2020 : trois ans et demi plus tard. Après cet (ultime?) épisode, Mme PL va bien, elle a maintenant 80 ans, elle reste d’un commerce doux et agréable. Elle s’accommode de sa cicatrice de mastectomie. Elle n’a jamais eu un mot de doute sur son chirurgien ou son pathologiste parisiens, ni sur les délabrements successifs qui lui ont été imposés.

Cette observation comporte plusieurs points saillants, pour le moins : que peut-on en retenir pour la Défense et Illustration de la Sénologie ?

1- Que répondre à ce confrère homéopathe qui se questionne quant à l’intérêt d’une radiothérapie « pour rien »?

D’abord : qu’il n’y a pas « rien » puisque sa patiente est porteuse d’un cancer invasif, certes peu développé localement, du moins en apparence. Mais peut-on connaître à l’avance et avec certitude le potentiel évolutif d’un cancer ? L’histoire a prouvé son haut potentiel de récidive.

Ensuite : que les berges opératoires soient saines à la reprise chirurgicale initiale était certes une bonne nouvelle, mais qui ne préjugeait en rien de la réalité biologique, inaccessible à l’anapath. C’est la notion de champ de cancérisation, qui nous place devant cette évidence : on ne peut toujours pas connaître, en 2021, les frontières biologiques d’un processus de cancérisation. La chirurgie est donc nécessairement approximative.

Dans le contexte d’un traitement conservateur la radiothérapie est l’arme privilégiée pour réduire drastiquement l’incidence des récidives locales, qui sans elle seraient quasi systématiques. En résumé : un traitement chirurgical conservateur doit être nécessairement associé à une radiothérapie adjuvante.

Il faut enfin convenir avec ce confrère que les patientes d’un médecin homéopathe ont toujours une grande « foi » en la méthode, et que ses propres doutes ont alimenté, sciemment ou non, la phobie des rayons de Mme PL.

2- Comme toute chose, cette histoire doit répondre à la logique : si un diagnostic de récidive maligne a été porté et que l’histologie de la pièce opératoire est normale, il y a contradiction : et donc une erreur quelque part, qu’il convient de résoudre. Cette erreur peut être le diagnostic initial (faux positif de l’une des techniques utilisées...), la méthodologie opératoire (repérage de la zone à biopsier, topographie/étendue du prélèvement...), ou encore l’analyse histologique elle-même (difficultés d’identification, nombre de coupes faites... [des coupes tous les 5 mm peuvent par exemple laisser passer les plus petites tumeurs]).

Hélas cette enquête n’a pas été faite après la première récidive... Cette affaire n’ayant pas été judiciarisée, nous ne connaîtrons hélas pas le mot de la fin.

Un mot quand même sur le diagnostic initial : celui-ci n’a pas comporté de microbiopsie qui, on le sait, est devenue le graal des oncologues, par refus de la patiente. Il faut pourtant admettre que la ponction à l’aiguille fine, d’une technique très simple, fournit le plus souvent une cytologie très riche et sans ambiguïté pour un cyto-pathologiste entraîné. Je ne connais pas de faux positif dans mon expérience. Dans cette histoire toutes les cytologies ont été caractéristiques, et le diagnostic final leur a donné raison. Ce n’est donc pas le diagnostic initial qui a pêché.

3- L’attitude constante de Mme PL nous interroge, nous médecins, sur le niveau de risque que nous faisons subir à nos patientes. Un radiologue très anxieux, et/ou très entreprenant, qui souhaite macrobiopsier le moindre groupement de microcalcifications (sans attendre l’épreuve d’une surveillance minimale, qui permettrait de juger de leur évolutivité), et Mme PL qui a attendu la 4ème récidive locale pour se laisser convaincre, du bout des lèvres, d’entreprendre le traitement préconisé, vivent manifestement dans des mondes médicaux radicalement opposés et incompatibles. Ce niveau de risque acceptable est si variable d’un patient à l’autre, d’un médecin à l’autre, que toute discussion stratégique est un exercice périlleux, voire aveugle.

4- Il ne vous a pas échappé que la première récidive de Mme PL est apparue l’année suivant son divorce, alors que les 12 premières années de son suivi s’étaient déroulées sans accroc, malgré un traitement initial incomplet, la radiothérapie ayant été récusée. Une nouvelle fois le cancer se montre sous son vrai jour, celui d’une maladie psycho-somatique, le psychisme étant le plus souvent initiateur/ accélérateur de ce processus.

Commentaire Cancer Rose

Nous rajouterions une autre leçon à retirer de cette observation, et c'est "la leçon d'humilité".

On met souvent dans la tête des femmes l'urgence de la situation dès lors qu'on a fait un diagnostic de lésion cancéreuse, comme si chaque minute compte. Tout le monde court, s'active, s'affole, il faut agir, réagir, opérer au plus vite ! Or la patiente ici a bel et bien traîné des années avec son cancer, et elle est arrivée à 80 ans sans perdre la vie !
Alors, il n'est jamais trop tard pour bien faire, il n'est jamais trop tard pour traiter et pour guérir.
Où est donc l'urgence dans laquelle on propulse les femmes diagnostiquées ? Si le cancer est métastatique il l'est d'emblée ; dans la très très grande majorité des cas très souvent on voit bien qu'il n'est nul besoin d'affoler les femmes comme on le fait. On n'est pas à une minute près. Oui, on peut se donner parfois le temps de la surveillance (les classifications ACR3 (simple surveillance) ont quasiment disparu, on envisage, dans l'urgence qui est la nôtre, d'emblée des prélèvements et des interventions.
Oui il faut traiter, bien entendu, mais sans paniquer ! Le cancer ne métastase pas en 5 minutes (à moins qu'il ne l'ait déjà fait et là on a de toute façon une longueur de retard), il ne tue pas sur le champ, on ne va pas mourir demain !. 
Ce cas nous montre l'humilité que le corps médical devrait avoir, et nous montre qu'il faut sortir de 'l'affolisme' et de 'l'urgentisation' qu'on inflige aux femmes quand on leur trouve un cancer, leur donnant l'impression d'une mort imminente, mais qu'on va leur sauver la vie, nous, parce qu'on a fait vite.

Le sort des patientes n'est absolument pas dans nos mains de grands "sauveurs". Il n'est jamais "trop tard" pour traiter et pour guérir.

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Rêve de sénologue

Un témoignage de Dr M.Granger, sénologue, 21 juillet 2021

Mme PS, 50 ans, parisienne, consulte en août 2010 pour avis.


Elle a effectué le 23 juin 2010, dans un CENTRE DE SENOLOGIE parisien, une 3ème mammographie, qui a été classée ACR 4 pour une « zone de distorsion architecturale mal systématisée du quadrant supéro-externe droit ». Elle a subi le jour même des micro-biopsies, qui ont abouti au « diagnostic » : « Mastopathie fibro-kystique proliférante avec atypies, de type canalaire (Hyperplasie canalaire atypique) ». Elle a un rendez-vous d’IRM dans quelques jours, et se dit très préoccupée de la rapidité et de la mauvaise tournure des événements : que doit-elle faire ?…


Mes constatations :


Ayant regardé attentivement les mammographies apportées, je constate, avec une certaine inquiétude initiale, que cette « zone de distorsion architecturale mal systématisée» échappe à ma sagacité. La loupe n’apporte rien : je ne vois, en comparaison avec le sein gauche qui lui a subi une involution adipeuse totale, qu’un banal aspect de reliquat glandulaire.
L’aspect était identique sur une mammographie réalisée exactement 7 ans plus tôt.
Par ailleurs mon examen clinique et échographique ciblé est strictement normal.
Etonné du diagnostic radiologique parisien, mais rassuré par une imagerie constante, je conseille à cette dame d’attendre les résultats de l’IRM, et de m’en communiquer les résultats.
Ces résultats arrivent 3 jours plus tard, le soir même de l’examen.
Conclusion : « On retrouve la zone de distorsion architecturale supéro-externe droite qui ne présente , en IRM, aucun caractère morphologique suspect, toutefois on connait la sous-estimation de l’IRM pour les lésions intra-canalaires. Une exérèse chirurgicale du secteur atypique avéré reste à prévoir ».


La patiente, prise dans l’étau « concordant » de 3 compte-rendus – mammographique, biopsique et IRM – consulte un chirurgien du sein à l’Institut Gustave Roussy. Elle me transmet quelques jours plus tard son avis : « J’ai bien reçu le résultat de votre IRM mammaire, qui confirme les éléments décrits à la mammo- échographie, à savoir une zone mal systématisée du QSE droit. Compte tenu du résultat histologique de la biopsie qui retrouvait de la mastopathie fibro-kystique avec atypie de type canalaire, il est nécessaire de réaliser une chirurgie d’exérèse de cette zone (…) »

J’adresse en retour ce mail à Mme PS

Chère Madame,
En réponse à votre mail, voici mes conclusions:
• Votre IRM est normale, le texte exact est: "zone de distorsion architecturale supéro-externe droite qui ne présente, en IRM, aucun caractère morphologique suspect". Le reste du compte-rendu ("toutefois … ") n'est qu'une formule-parapluie, habituelle.
• La lettre de l'IGR retient la partie négative de ce compte-rendu ("zone mal systématisée " [ ce qui veut dire quoi d’ailleurs ? … ]), ouvrant à son tour le parapluie : "une chirurgie d'exérèse est nécessaire … ". Un chirurgien opère.
Je vous avais prévenue de cette logique jusqu’auboutiste, je la rencontre tous les jours.
Ce n'est cependant pas la mienne, au vu des mammographies que vous m'avez apportées, qui, encore une fois, n'ont pas évolué depuis 7 ans. Cette stabilité vaut pour moi tous les parapluies de toutes les institutions de la Terre, surtout quand l'IRM est normale.
Je reste partisan d'une surveillance simple dont les modalités, pour votre confort moral et votre sécurité restent à préciser : je conseillerais un premier contrôle radio+écho du sein droit dans un délai inférieur ou égal à un an (contacter ma secrétaire), puis nous verrons.
• Vous voilà donc confrontée au dilemme de suivre votre nouveau sénologue de province ou les grandes machines parisiennes ! Faites ce choix en votre âme et conscience, larguant toutes les Hiérarchies, n'écoutant que vos sentiments profonds : c'est là que se trouve la bonne réponse.
Très cordialement. M Granger


Mme PS a finalement choisi de suivre son Sénologue de province.
Elle « vient de loin » mais « sait pourquoi ».
Je l’ai revue jusqu’en 2017, sans rien constater de nouveau, examen clinique et radio-échographique inchangé, depuis plus de 15 ans. Une de sauvée…


Que retenir de tout cela pour l’enseignement de la Sénologie?

Plusieurs remarques, parmi bien d’autres, me paraissent utiles:
• La description initiale du radiologue (« distorsion architecturale mal systématisée ») a été le point de départ d’un chemin que la patiente a dû gravir seule… jusqu’à ce que l’angoisse devienne trop forte et qu’elle se décide à demander un avis.
• Ladite description initiale n’a, à aucun moment, été remise en cause, l’avis de ce radiologue est souverain. Il faut pourtant noter que la classification ACR peut être facilement « tordue » pour obtenir le résultat voulu : si le radiologue accepte une surveillance simple il classera les clichés en ACR 2 ; s’il souhaite une surveillance rapprochée il les notera ACR 3 ; s’il veut une biopsie, et surtout s’il est à même de la faire immédiatement il les notera ACR 4, comme ici.
Un regard distancié verra les choses différemment : il « suffit » de prendre le temps de comparer l’ensemble des clichés effectués, parfois une dizaine de mammos (!), pour aboutir à une autre conclusion, ici à la normalité (ou à ACR 2, si l’on est fan des amériques). Ce qui aurait stoppé net cette longue divagation diagnostique.
• La description/classification initiale n’a, on l’a dit, pas été discutée : cela tient à ce que chaque professionnel œuvre séparément, sans controverse ; il n’a donc aucun compte à rendre directement à la patiente.
Dans les faits cette chaîne peut se décrire comme une entente commerciale verticale dont chacun a tiré bénéfice. Dans le monde animal sauvage on parlerait de « chasser en meute », et l’on sait que si tous les sujets de la cohorte sont potentiellement ciblés, seuls les plus forts en réchappent.
Mme PS, diplômée supérieure et de la haute fonction publique a su s’en sortir, avec ce choix cornélien de résister à l’IGR… nombreuses sont celles qui n’en sont pas capables.
• Le remède à cette chaîne d’emprises médicales sans contre-pouvoir ne se trouve PAS dans les RCP (réunion de concertation pluri-disciplinaire, NDLR) : je n’ai pour ma part jamais vu un pathologiste, un chirurgien ou un radio-thérapeute s’opposer et briser la chaine biaisée dès le départ vers les biopsies – micro, macro ou chirurgicales.
Il y a donc de facto une entente pour ne pas remettre en cause le diagnostic initial, et il serait passionnant de faire la psychanalyse individuelle des « décisions validées » en RCP. Le sein est un organe très investi que tous adorent se disputer et se partager.
• Vous l’aurez peut-être compris : je vis dans le rêve que notre père à tous (Charles-Marie Gros, des Hospices Civils de Strasbourg) avait fait dans les années 60 : que le SENOLOGUE soit reconnu comme ce spécialiste du sein, un peu/beaucoup/passionnément spécialiste de toutes les disciplines concernées – depuis les différentes formes d’imagerie jusqu’à l’anapath, en passant par l’intérêt relatif de la chirurgie et de la panoplie des oncologues…, spécialiste qui coordonne et tempère les enthousiasmes et les inquiétudes de chaque intervenant, spécialiste responsable enfin devant la patiente.
Communiquant de surcroit, qui accepte de prendre son temps, et de le perdre, parfois.
• Mais vous le savez sans doute aussi : le rêve est resté rêve, et la SENOLOGIE une belle utopie. Elle est occasionnellement réveillée par Mme PS et ses sœurs de lutte.

Quelques commentaires Cancer Rose

Il est absolument évident qu'avec les dépistages les mastectomies inutiles ont été démultipliées. Nous avons présenté notre étude sur les mastectomies en France au congrès de la société française de sénologie à Lille.
C'est absolument indéniable qu'on "sur-opère" des lésions qui ne sont pas des cancers, et voilà encore ici l'illustration d'une dérive de la sur-détection, à savoir le surtraitement.
Mais cela explique de toute évidence pourquoi on a davantage de plus en plus de mastectomies comparativement à l'incidence des cancers invasifs, comme expliqué dans notre étude.

L'observation conforte aussi les dérives de la classification ACR : les ACR3 n'existent presque plus, on a tendance à classer très rapidement en ACR4, on "upgrade" volontairement nos propres classifications d'examens afin de recourir d'emblée à un prélèvement, histoire de ne rien omettre, au lieu de prendre son temps, se poser, et recontrôler éventuellement à distance.
L'ACR4 devient un fourre-tout pour aller enlever à peu près tout ce qui apparait "abnorme". Lire ici : https://cancer-rose.fr/2018/11/11/de-la-classification-acr-mammographique/


Une réflexion pour finir : si pour les dossiers classés en "négatif" il y a bien une double lecture lors du dépistage (voir ici : https://cancer-rose.fr/2020/10/17/quest-ce-quune-mammographie-de-depistage/), pour les dossiers classés en "positif", ben il n'y en a pas.
Ce qui n'est pas forcément logique.
Mais, même en y aurait-il, qui aura avoir le courage de "négativer" une image classée positive préalablement par un autre confrère....

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Le chat savait

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Témoignage de Dr Granger, Châteauroux, juillet 2021

Histoire de Madame AH, 75 ans

Ma secrétaire m’arrête en début d’après midi :
« je vous ai rajouté une patiente en fin de consultation... »

– Bien...

Rien à ajouter, c’est la consigne : si une femme a « senti quelque chose » et veut me voir, c’est tout de suite... Le sein c’est comme ça. Elle a hésité... osé appeler... elle veut parler, maintenant. Autant que possible ne pas stopper cet élan.

– Qu’est-ce qui vous amène ?...
– Vous avez vu une amie, elle m’a dit que je pouvais... J’ai été opérée d’un tout petit cancer du sein en 1991
[elle avait alors 45 ans, personne dans la famille n’avait encore été concerné]... J’ai été suivie longtemps. Et puis j’ai arrêté la surveillance : on m’a dit avant l’intervention que le cancer ne se voyait pas sur la mammo. Alors pourquoi continuer à en faire?... J’ai l’impression de sentir quelque chose là (elle empaume son sein droit, sous la clavicule), c’est pas du tout au même endroit... Mon ami me dit qu’il ne sent rien, mais je crois qu’il veut me rassurer. Il a des problèmes de glaucome... Je lui ai dit que j’allais au cinéma.
-Tu vas au cinéma ?
-... Oui

Au premier regard le QSI droit est comme comblé, alors que la zone symétrique à gauche est vide. La main perçoit une large plaque indurée, comme figée. Le diagnostic est évident. La cicatrice de tumorectomie initiale, à l’union des quadrants inférieurs, est très petite, fine et souple. Ce n’est effectivement pas du tout le même endroit.
Dès le contact de la sonde d’écho, nouvelle évidence.

– Vous voyez quelque chose?...
– Oui
–...
–...
– C’est gros comment ?...
– Ça fait près de 2 cm... (...) Depuis quand n’avez-vous pas fait de mammographie ?
– J’ai arrêté... Ça fait mal. J’ai vu ma gynéco... ça fait peut-être 3 ans ? elle m’a dit qu’elle ne sentait rien, elle m’a demandé une mammographie, je ne l’ai pas faite. J’en ai assez d’être malade. Je suis une ancienne infirmière, je n’irai plus à l’hôpital. Je n’irai plus faire d’examen que si je suis malade.

L’examen terminé, elle se rhabille. Nous allons en dire davantage.

– Je pense que c’est une reprise du problème initial...
– Je le savais.

Son regard est direct, clair.
-C’est pour ça que j’ai dit que j’allais au cinéma. Je ne voulais lui en parler que si j’étais sûre. Une infirmière m’a dit un jour :
« les chats sentent quand leur maître est malade, ils le collent ». Depuis quelque temps ma chatte me colle, alors j’ai compris. Qu’est-ce qu’il faut faire ?...

– Vous avez eu un traitement conservateur, et une radio-thérapie n’est-ce pas?...
– Oui
– La radiothérapie ne peut se faire qu’une fois...
– Oui je sais
– Il nous reste une seule arme : la chirurgie. Il faut enlever le sein
– Oui. Le plus vite sera le mieux. Je ne veux pas de biopsie, on dit que des cellules peuvent partir

Je n’ai pas insisté sur l’intérêt de cette biopsie pour le chirurgien, le « protocole », je n’en avais ni le cœur ni la certitude. Sur le pas de la porte ses derniers mots :

– Merci. Au moins vous ne m’avez pas dit que c’était de ma faute...
– ?...
Comment pourrait-on dire cela ?...
– Oh vous savez j’ai entendu tellement de choses !

C’était ma dernière consultation. Rien ensuite pour effacer ces paroles, ces impressions. Qu’en retenir pour l’enseignement de la Sénologie?

  • Une femme « sait » quand elle a un cancer du sein. Toutes le redoutent, toutes craignent de le sentir. Seules celles qui l’ont « savent » vraiment. Les chats aussi savent, leur odorat les guide. Il faut toujours écouter son chat, son câlin est un guide sûr.
  • Dans la boucle de la surveillance, il y a toujours un autre que la femme elle-même, un autre qui la motive ou la rend réticente. Il faut rentrer dans cette boucle, si l’on veut être utile. D’abord en ne disant rien qui puisse être mésinterprété, il faut donc avoir plusieurs coups d’avance sur elle. Par exemple ne pas dire qu’« on ne voyait rien sur la mammo » car 20 ans plus tard ce sera un argument démobilisant. Ensuite en disant les choses comme elles sont : ce « tout petit cancer » minimisé deviendra un jour un autre argument démobilisant. La mammo initiale, qu’elle m’avait apportée, bien qu’en technique argentique en 1991, montrait parfaitement le cancer, ses spicules et la rétraction du sillon sous mammaire.
  • Il faut rester calme et factuel dans l’annonce. Le génie du cancer est infini, il n’y a donc pas de « petit » ni de « bon » cancer (ne pas prendre l’ennemi pour un ami), ni de cancer « qui devient souvent bilatéral » (ne pas prendre un ami pour un ennemi). Que de prophéties injustifiées qui masquent notre ignorance ! Il n’y a pas non plus d’ « urgence », le cancer est toujours une longue histoire. Les choses seront nommées, définies, expliquées au fur et à mesure des consultations. Ces consultations prennent du temps, elles ne se font pas en salle d’attente ou sur un coin de table. Les radiologues qui ne voient plus leurs patientes et les renvoient sur leur site d’imagerie ont paradoxalement pris une sage décision : elle leur évite de dire ce qu’ils ne savent pas !...
  • Il faut pouvoir proposer une alternative à la mammographie de dépistage ou de surveillance. Cet examen le plus souvent mal vécu – douloureux, invasif, peu informatif puisque complété le plus souvent par une échographie. Echographie qui devra expliquer ce qu’on ne voit pas ou ne comprend pas avec les rayons X... L’échographie est bien cette alternative, entre des mains entraînées : elle pourrait même suffire dans la plupart des cas, en dépistage et en surveillance, mais ceci est une autre débat. L’alternative échographique, largement mise en œuvre, éviterait aux cliniciens et aux imageurs de culpabiliser les femmes en leur disant que « c’est de votre faute » ou « vous l’avez bien cherché », « pourquoi vous n’avez pas fait la mammo demandée ? ».
  • Souvenons-nous des derniers mots sur le pas de la porte, ce sont les plus importants, ceux qu’on n’a pas osé prononcer plus tôt, et qui sont vraiment libérateurs : cette femme, malgré le choc de l’annonce, était dans la gratitude : je ne l’avais pas accusée.

Commentaires Cancer Rose

Ce témoignage a fait beaucoup réagir, et nous recevons beaucoup de questions et commentaires de nos lecteurs. D'où ce petit décryptage :

Le message le plus fort de la patiente est celui de la lassitude de la surveillance, car poursuivre une surveillance, c'est continuer d'être malade.
Les examens c'est lorsqu'on est malades, c'est ce que la patiente exprime.
Ceci est une remarque intéressante dans le contexte d'un dépistage chez des femmes sans symptômes, on oublie que le dépistage s'adresse à des gens sains, qui ne se plaignent de rien.
Ici la situation est différente en ce sens que la patiente a été malade et a présenté un cancer, situation pour laquelle une surveillance annuelle est en effet préconisée, mais c'est son avis, il faut entendre les opinions, choix et préférences des malades.

Le message le plus fort du médecin : refus d'accusation, refus de culpabiliser les patientes. La patiente a apprécié que le confrère ne lui fasse pas de reproche ("vous l'avez bien cherché, fallait faire votre suivi" ; c'est ce que les femmes entendent sans qu'on puisse affirmer que cela aurait changé grand-chose à la situation, en l'occurrence).
Gratitude de la patiente pour une attitude trop rare du corps médical : ne pas reprocher à une malade un défaut d'une surveillance qu'elle a jugée trop longue, lassante, inconfortable et angoissante.
Cette déculpabilisation es extrêmement importante, car on constate aussi ce sentiment de culpabilité chez les femmes saines qui ne se soumettent pas au dépistage, alors qu'elle ne souffrent de rien.
Sur le fond, le confrère a raison de souligner "Le génie du cancer est infini, il n’y a donc pas de « petit » ni de « bon » cancer". En effet il est impossible ici de savoir si c'est une reprise de la maladie, si longtemps après, ou s'il s'agit d'une nouvelle maladie (autre localisation dans le sein que la première), si la mammo aurait changé grand-chose (découverte de la masse d'emblée volumineuse).
Impossible encore d'éliminer une maladie induite (multiplication des mammographies, deuxième cancer radio-induit puisque survenu dans le même sein traité, longtemps après).

On se saura jamais, d'où l'importance de respecter le choix de la patiente, de sortir du schéma "le cancer, plus tôt pris mieux c'est", parce que, comme le confrère l'écrit, l'évolution du cancer ne marche pas selon cet automatisme pré-conçu par une théorie intellectuellement confortable (lire : https://cancer-rose.fr/2019/08/31/comment-se-developpe-un-cancer/)
Chercher des alternatives à la sacro-sainte mammographie dans laquelle on fonde tant d'espoirs et qui pourtant "rate" d'authentiques cancers est aussi une piste de réflexion.

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